Un changement de paradigme
- Albane Cavellec
- 26 sept. 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 oct. 2020
Dans le livre Max Weber, Penser le paradigme démocratique, C. Savés définit le paradigme comme « l'ensemble des expériences, des croyances et des valeurs qui influencent la façon dont un individu perçoit la réalité et agit ou réagit par rapport à cette perception qu'il a d'elle ». De cette façon, un individu se construit une représentation du monde qu'il tente de comprendre et surtout d'anticiper.

Le contexte
Dans son livre Intrinsic Motivation at Work : What Really Drives Employee Engagement, K.W. THOMAS décrit comment notre rapport au travail a changé depuis les années 1970. Avant cela, le monde de l’entreprise est caractérisé par la simplification des tâches, une hiérarchie pyramidale forte et un management basé sur le respect des règles. Les sources de motivation des employés sont extrinsèques. Ils vont chercher à produire plus pour gagner plus. L’auteur qualifie ce type de management de «command-and-control management in bureaucratic organisations ». Ce fonctionnement répondait aux lois économiques du marché visant à produire des produits et services standardisés. Seulement, il met en évidence dans son livre une étude réalisée dans The new American Workplace par James O’Toole sur le changement de perception du travail entre 1970 et 2002.

En effet, au début des années 2000, la technologie se développe et change les règles du marché. La globalisation crée une forte concurrence et les consommateurs demandent des produits et services personnalisés. Les organisations évoluent vers des structures plus horizontales, flexibles et transparentes. L’organisation bureaucratique n’est plus adaptée au contexte actuel. Les postes demandant peu de compétences intellectuelles sont remplacés par la technologie pour plus d'automatisation. Dans le cas contraire, ils ont été externalisé. De ce fait, les employés se sont vus exercer des tâches intellectuelles avec plus de responsabilités et d’autonomie. L’organisation leur permet de développer leurs compétences et leur carrière selon leurs envies. Les employés sont encouragés à prendre des initiatives, collaborer entre eux, s’adapter aux besoins clients et innover. Ces nouvelles responsabilités reposent sur des motivations profondes comme la passion, la satisfaction, la reconnaissance, le challenge. Le rapport au travail évolue vers la recherche de sens et la motivation intrinsèque.
Pourtant ce n’est pas si simple. Comme nous l’explique Julia De Funès dans une conférence sur l’absurdité en entreprise en 2018 organisée par USI Events. Nous sommes pris dans une injonction paradoxale entre la volonté d’innover, la peur du risque et de l'incertitude. Pour limiter le risque, les entreprises mettent en place des procédures, des processus et des protocoles à respecter. Mais ce cadre limite l’action et la pensée. Selon elle, « l’intelligence humaine se robotise » au même titre que l’intelligence artificielle s’humanise et « le processus devient sommet des priorités au détriment du sens de ce qui est entrepris ».
La quête de sens
En effet, le XXème siècle a été marqué par une perturbation du sens. Selon Julia De Funès, cela se produit en partie à cause d'un effacement de nos repères : religieux avec le retrait progressif des croyances, politiques avec un manque de confiance en l’Etat après la seconde guerre mondiale, géographiques avec la mondialisation et matériels avec le renouvellement constant des technologies d’usage.
Une autre question se pose, celle de la place que nous attribuons au travail dans nos vies. L’augmentation du burn-out témoigne de l’importance que nous attribuons à notre travail. Nous nous définissons au travers de notre emploi, ce qui est normal dans un sens, puisqu’il occupe une grande partie de nos journées. Nous avons besoin de cette identité, c’est d’ailleurs un des premiers principes définit par Olivier Vassal dans son ouvrage Crise du sens, défis du management. Olivier Vassal définit le sens selon trois principes : celui de l’identité, c’est-à-dire de « pouvoir se référer à une totalité », celui de la causalité c’est-à-dire « être en mesure d’expliquer, de relier, et de comprendre » et le principe de cohérence ou de non contradiction. Notre identité au travail peut être remise en cause si nous ne nous retrouvons plus dans les valeurs de l’entreprise.
De plus, comme le souligne Catherine VOYNNET-FROUBOUL dans son livre Diriger avec son âme : Leadership et spiritualité, les entreprises ont offert aux salariés un niveau d’autonomie et de responsabilités qui les placent en position de s’interroger sur les pratiques et actions de l’organisation.
La raison d’être des entreprises ; le nouveau défi des dirigeants
Depuis mai 2019, la loi PACTE (Plan d’Action à la Croissance et à la Transformation des Entreprises) permet aux organisations de modifier leur statut pour y ajouter une raison d’être. Cette raison d’être est définie dans un article de Harvard Business Review France comme « une ambition d’intérêt général qu’entendent poursuivre les dirigeants [...] ou des enjeux qui vont au-delà de la recherche du profit à court terme ». Une fois déclarée, la raison d’être ne peut plus être changée, c’est pourquoi elle doit s’inscrire dans une vision stratégique sur le long terme. Dans ce sens, les dirigeants ont pris conscience de leurs responsabilités sociétales et environnementales d’après une enquête réalisée en décembre 2018 par Harris Interactive auprès de 200 dirigeants d’entreprise tous secteurs d’activité confondus. 90% des dirigeants interrogés affirment que les entreprises ont un rôle important dans la transition écologique et social. 95% affirment vouloir développer un modèle d’entreprise avec des conditions de travail favorables aux collaborateurs et 92% souhaitent développer une activité plus responsable. Ces chiffres témoignent d’une prise de conscience sur le rôle à jouer des entreprises.
De plus, la crise liée à la pandémie du Covid-19 témoigne de l’engagement des entreprises dans ses enjeux sociétaux. Aujourd’hui, plus que jamais, les entreprises se mobilisent pour assurer la sécurité des citoyens par des actions diverses comme la mise en place du télétravail, la réorganisation des locaux pour le respect des gestes barrières, les dons aux institutions sanitaires et de recherche ainsi que la production de gels hydro alcooliques. Comme le cite Nicolas Narcisse dans son article de HBR France « Cette utilité sociale devient le signe de leur leadership ».
SAVES Christian (2017). Max Weber, Penser le paradigme démocratique. Saint-Denis : Editions Publibook.
THOMAS Kenneth W. (2009). Intrinsic Motivation at Work: What Really Drives Employee Engagement. San Francisco : Berrett-Koehler Publishers, Inc.
DE FUNES Julia (2018). Absurdités en entreprise. Paris : USI Events.
VASSAL Oliver (2005). Crise du sens, défis du management. Paris : Village mondial. VALIORGUE B et REROLLE J-F. (2019). A quoi sert la raison d’être dans les entreprises ? Paris : Harvard Business Review France.
NARCISSE Nicolas (2020). L’utilité sociale des entreprises, la clé du leadership du monde post coronavirus. Paris : Harvard Business Review France.
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