Le changement fait peur
- Albane Cavellec
- 26 sept. 2020
- 4 min de lecture
Qu’induit le changement et pourquoi en avons-nous si peur ? L’innovation est souvent synonyme de changement. Ce terme a souvent une connotation négative puisqu’il suggère de modifier le statu quo. Or, la nature humaine a tendance à rechercher le contrôle et éviter ce qu’elle ne connaît pas.

Qu’est-ce que le changement ?
Le changement d’une organisation désigne le passage d’un état initial à un état modifié. Les sociologues s’accordent à dire que le changement est un processus de non-stabilisation des organisations. Dans leur livre Les fondements du changement stratégique, T. Hafsi et B. Fabi définissent les organisations comme des systèmes ouverts sur leurs environnements en adaptation permanente. En effet, nous constatons des changements induits par l’environnement externe (le marché, la concurrence, l’évolution d’une technologie) et interne (les structures). Dans Organisation : Théories et pratiques, Y. Livian affirme que l’organisation fait rarement face à une situation de non changement.
De façon concrète et selon le contexte d’évolution, le changement peut être connoté de manière très contrastée. Dans les périodes de croissance, le changement est synonyme de progrès. Dans un phénomène de multiplication des fusions/acquisitions, le changement organisationnel est associé à la restructuration. Enfin dans les périodes de crise, nous associons cela à des plans de licenciements économiques.
“Rien n'est permanent, sauf le changement.” Heraclite
Les niveaux de changement
En 1975, trois chercheurs de l’Ecole Palo Alto écrivent Changements : Paradoxes et psychothérapie et abordent la notion de changement en différenciant deux types de changement. Les changements de niveau 1, progressifs et qui ne remettent pas en cause la situation ni les règles établies, et les changements de niveau 2, profonds et entrainant une rupture vis-à-vis de la situation vécue. Les chercheurs de l’école de Palo Alto affirment que seuls les changements de niveau 2 permettent de faire évoluer durablement une situation.
Cette affirmation rejoint les travaux de Frederick Hudson, philosophe américain et écrivain dans le domaine du développement des adultes et du coaching. Il modélise « le cycle du changement » par différents états et phrases de vie.

Nous allons étudier cette roue en commençant par l’état de « rupture » (4) car c’est à ce moment-là que nous entrons dans la phase de désapprentissage. Lorsqu’il y a rupture, physique ou psychologique, il y a un décalage entre le monde réel et le monde souhaité ou le monde « habituel ». Il peut s’agir d’une perte d’emploi, une fusion, une promotion. Il convient alors de réaliser un deuil (5) adéquat, avec ces différentes étapes (courbe du deuil). Une fois ce deuil réalisé, nous sommes en capacité de faire le point (6) sur qui nous sommes et quelles sont nos compétences pour relancer un nouveau projet. A cette étape du cycle, une question fondamentale se pose. Elle aura un impact sur la suite des évènements : Pouvons-nous nous relancer sur un projet du même ordre ou y a-t-il des éléments plus profonds, plus personnels à envisager avant d’aller plus loin ?
Si nous sommes prêts à reprendre un projet du même ordre (le même type d’emploi, mais dans une autre entreprise, par exemple), il s'agit alors de faire un état des lieux de nos compétences, voir ce que nous devons mettre en place pour y arriver et reformuler ce nouveau projet (7). Si nous sommes dans ce cas-là, alors le cycle n’est pas appréhendé dans sa totalité. Il ne s’agit pas d’une phase profonde de notre existence. Le sujet a simplement redirigé son projet, il l’a ajusté. Ce qui dans ce cas peut s’apparenter à un changement de niveau 1 selon l’Ecole de Palo Alto.
En revanche, si la rupture a touché des choses plus fondamentales, il faut envisager un changement plus profond dans lequel une phase d’introspection et de maturation (8) sont nécessaires, pour se retrouver. Ensuite, le renouveau de soi (9) est une phase dans laquelle nos valeurs seront actualisées. Nous prenons conscience que nos attentes ne sont plus les mêmes. L’idée est de prendre conscience de notre nouveau système de valeurs pour rebâtir ensuite un projet qui respectera ces nouvelles valeurs. Une fois cette étape réalisée, nous pouvons inventer le futur (10). C’est une phase d’intense créativité, c’est l’étape où se dessinent des changements de carrière. Lorsque ce processus est mené à bien, avec ses interrogations, ses doutes, ses excitations, un projet émerge. Il convient alors de formuler le projet (1). S’ensuit une phase de lancement, de préparation (2), nous réunissons tout ce dont nous avons besoin pour mener à bien notre projet : formation, soutien financier. Et enfin dans cette dernière phase, il faut apprendre à gérer un nouveau quotidien que l’on souhaite le plus prospère possible. Si ce n’est malheureusement pas le cas ou si un nouvel élément vient interrompre cet épanouissement, le cycle reprend de lui-même.
La résistance au changement
D’après le cycle du changement de Hudson, nous comprenons que le changement oblige les individus à modifier leurs modes de pensée et leurs modes d’action. Il provoque un processus de réorganisation psychologique chez les personnes concernées. Le changement signifie l’incertitude et la perturbation de l’équilibre connu. Dans son livre Bienvenue en incertitude ! : Principes d’action pour un monde de surprises, Philippe Silberzahn tente de nous expliquer ce qu’est l’incertitude. Il est question de la difficulté de prédire l’avenir dans un monde de secrets et de mystères. De ce fait, la prise de décision dans un environnement, aussi complexe que le nôtre, repose sur des prédictions irrationnelles et subjectives. C’est ce que Philippe Silberzahn appelle l’incertitude : « Une absence d’informations objective dans un environnement donnée ». L’auteur montre alors que la prise de décision n’est qu’incertitude mais il n’en est rien face à l’incertitude provoquée par l’homme lui-même. Par la notion de biais, d’intelligence, d’égo, les hommes créent eux-mêmes l’incertitude.
Enfin pour revenir à la notion de perturbation de l’équilibre connu, il est plus facile pour tout individu de rester dans un système certes dysfonctionnel mais connu. Cela s’explique par le biais du statu quo. Nous voulons rester dans ce que nous connaissons, nous ne voulons pas nous projeter dans l’inconnu. D’après Daniel Kahneman, la douleur de perdre est deux fois plus élevée que le plaisir de gagner. Pour qu’un individu accepte le changement, il faut que le gain soit donc au moins deux fois supérieur à ce qu’il va perdre. En l’occurrence dans les organisations, il s’agit de connaissances, de compétences et d’un savoir-faire acquis qui seront potentiellement remis en cause.
Philippe SILBERZAHN (2017). Bienvenue en incertitude ! : Principes d’action pour un monde de surprises.
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